17

 

Le lendemain matin, Teradia se présenta de bonne heure avec le plateau du déjeuner. Killashandra aurait donné beaucoup pour savoir comment elle parvenait à être toujours si élégante et sereine. Peut-être cela venait-il du calme existentiel associé à l’âge, quoique le terme de « vieille » ne semblât pas pouvoir s’appliquer à Teradia.

— Qu’annonce la journée, ô porteuse de délices ? demanda Lars, mettant un oreiller dans le dos de Killashandra. Olav a bien fait des siennes hier soir, hein ?

— Et il continue ce matin, dit Teradia avec un petit sourire. Puis-je te féliciter de ton numéro d’hier soir, Killashandra ? Tu étais impressionnante ! Je ne crois pas qu’aucun des assistants de Torkes ait jamais vu une scène pareille.

— J’étais embrasée d’une juste colère, répondit Killashandra. Tu te rends compte ? Pointer une arme sur moi ! Sur moi, chanteuse-crystal !

Lars lui caressa le bras pour la calmer, et servit le fumant breuvage matinal.

— Qu’est-ce qu’Olav nous mijote pour aujourd’hui ? Teradia s’assit au bord du lit, les mains croisées sur les genoux, les lèvres frémissantes d’un petit sourire.

— Comme tu le supposais, la coupure de courant a très efficacement handicapé le croiseur, vu qu’Olav avait courtoisement proposé qu’ils se branchent sur le réseau de l’île pour économiser les batteries du bateau. Torkes en a été retourné, craignant une autre attaque sur ta personne, Killashandra. Naturellement, l’ascenseur ne marchait plus, et une équipe d’inspection a eu vite fait de découvrir qu’on ne peut pas atteindre facilement cet appartement en grimpant le long du mur, alors ils ont posté des gardes sur le front de mer. C’est pourquoi votre sommeil n’a pas été dérangé.

Elle baissa brièvement les yeux.

— Olav a travaillé toute la nuit avec les ingénieurs du croiseur, pour découvrir que la panne venait de nos générateurs, qui, comme vous l’avez deviné, avaient souffert des dommages, jusque-là non détectés, pendant la tempête. Tout est réparé maintenant ; sauf, bien entendu, les unités soumises à des surtensions.

Elle montra plusieurs taches de brûlures, à la jonction des mûrs et du plafond.

— Et, comme on pouvait s’y attendre, on a constaté que le circuit fautif avait été endommagé par la pluie. Ton père a du génie pour ces choses-là. Mais je crois que vous ne devriez plus trop tarder à paraître. Il y a des vêtements pour vous deux dans le dressing, et l’on m’a demandé d’apporter sur le croiseur tout ce qu’il te faudra pour le voyage, Killashandra.

Teradia se leva d’un mouvement fluide, hésita, puis se rendit du côté de Killashandra.

— Tu n’imagines pas le plaisir que j’ai eu à voir un Ancien réduit au silence. Excellente stratégie de ta part. Déséquilibrer l’ennemi, le maintenir dans l’incertitude. Ils ne savent pas quoi faire dans cette situation, ils n’en ont pas l’expérience.

Puis Teradia posa sa joue lisse et parfumée contre celle de Killashandra et, avant que la chanteuse-crystal ait eu le temps de réagir, elle s’était éclipsée, refermant la porte derrière elle.

— Tu peux dire que tu lui as fait grosse impression, dit Lars. Je te raconterai les démêlés de Teradia avec le Conseil, comme ça tu comprendras mieux ce qu’elle voulait dire. Moi, je n’aurais jamais pensé à protester contre ce ridicule numéro des sentinelles, mais je suppose, remarqua-t-il avec un soupir exaspéré, que c’est parce que j’en ai l’habitude. Ce doit être…

Il chercha le mot juste et, ne le trouvant pas, haussa les épaules.

— C’est extraordinaire de ne pas avoir besoin d’armes et de sentinelles. Est-ce le cas seulement sur Ballybran, ou cette bienheureuse situation existe-t-elle aussi sur Fuerte ?

— Sur les deux. Sur Fuerte, par manque d’agresseurs, et sur Ballybran parce que tout le monde est trop occupé dans les chaînes à chanter le crystal. Nous connaissons notre place et nous y trouvons la sécurité, dit-elle, imitant la voix d’Ampris. Lars, comment ferons-nous pour faire sauter les moniteurs au Conservatoire ? Ils doivent être installés maintenant, j’en suis sûre.

— Tu pourrais toujours piquer une nouvelle crise.

— Non, merci. Les crises de nerf, c’est épuisant.

— Oh, c’est pour ça que tu es épuisée aujourd’hui ?

— Le plaisir ne me fatigue jamais. Bon, maintenant, il faudrait déjeuner et s’habiller. Je sens que je vais avoir une crise de circonspection.

Quelques minutes plus tard, ils entrèrent dans la salle de réception. Un officier se leva d’un bond, bredouillant des questions sur la santé de Killashandra, des excuses pour les désagréments que la coupure de courant avait pu lui causer, et les priant respectueusement de bien vouloir rejoindre l’Ancien Torkes et le Capitaine du Port dans la Salle des Communications.

Olav Dahl avait les traits tirés par la fatigue, mais c’est avec une lueur dans l’œil qu’il lui demanda si tous ses désirs avaient été satisfaits. Elle le rassura, puis, se tournant vers Torkes affecta la surprise devant sa fatigue évidente, et se mit à papillonner gracieusement autour de lui.

— Si cela vous convient, Ligueuse Ree, j’aimerais appareiller immédiatement, dit Torkes en se levant quand ses manifestations d’intérêt prirent fin.

Il la regarda, comme s’attendant à des objections.

— Je n’ai pas terminé, et même, pour être absolument véridique, je n’ai pas commencé la tâche qui m’a amenée sur Ophtéria. Je suis plus impatiente que vous ne l’imaginez d’effectuer la réparation de l’orgue et de partir. Je suis sûre que nous serons, tous soulagés quand je repartirai chez moi.

À l’évidence, l’Ancien Torkes ne pouvait pas être plus d’accord, quoiqu’il continuât à lancer des regards sceptiques sur Killashandra tout en faisant ses adieux à Olav Dahl. Lars se tint discrètement à l’écart. Dans l’intervalle, des marins en uniforme du Conseil avaient formé une haie d’honneur de la Résidence jusqu’au quai où le croiseur attendait ses éminents passagers.

Arrivée en bas de la rampe, Killashandra leva les yeux vers les terrasses, les pollys, les maisons, le vieux volcan de la Tête, les bateaux de pêche quittant lentement le port, le cœur serré de quitter l’île de l’Ange. Quelqu’un lui toucha le bras, Olav, avec deux guirlandes à la main.

— Permettez-moi de sacrifier à une coutume de l’île Ligueuse.

Il lui passa au cou les fleurs odorantes, les mêmes que la guirlande de fiançailles de Lars, puis il mit l’autre au cou de son fils.

— Acquitte-toi diligemment du devoir que tu as accepté de protéger la personne de la Ligueuse, et reviens-nous seulement quand tu l’auras vue partir saine et sauve à l’astroport !

Killashandra n’eut pas le temps de lui répondre qu’il avait déjà reculé. Elle dut se contenter d’un sourire pour le remercier de sa confiance, avant de monter dans la vedette qui attendait. Elle balaya d’une main impatiente les larmes qui lui montaient aux yeux, craignant qu’on ne les remarque, et prit place sous la tente au milieu du bateau. Elle ne s’étonna pas que Lars reste à l’écart, car il devait être aussi surpris qu’elle de l’adieu d’Olav.

Immobile, elle contemplait la masse trapue du croiseur, le trouvant de plus en plus rébarbatif à mesure qu’elle en approchait. Et son opinion ne changea pas durant les trois jours du voyage la ramenant à la Cité.

Le Capitaine, homme taciturne du nom de Festinel, l’attendait en haut de la passerelle et la conduisit lui-même à sa cabine, expliquant que son garde du corps serait logé dans la cabine contiguë, à portée de sa voix. Elle ne protesta pas, mais comprit que ce voyage serait une répétition de celui avec les Trundimoux. Eh bien, elle n’en était pas morte. Lars parut alors dans la coursive, et le Capitaine Festinel l’accueillit presque avec effusion.

Au dîner, Festinel manifesta une grande déférence envers Lars, sans doute impressionné par ses qualités de marin, ou plutôt par le récit du sauvetage imaginaire de Killashandra, dans l’îlot dangereusement situé de son exil. Killashandra ne prêta que sa présence physique au mess des officiers. Elle était fatiguée. Les résonances assourdies du crystal bourdonnaient dans ses veines, quoique plus assez fortes pour faire dresser les poils de ses voisins. Elle restait courtoise quand on lui adressait la parole, mais répondait laconiquement, se contentant la plupart du temps d’un sourire énigmatique. L’Ancien Torkes ne cessait de lui décocher subrepticement des regards méfiants, mais n’engagea pas la conversation. Ce qui lui convenait parfaitement. Qu’il continue à douter, incertain et déséquilibré. Mais comment pourrait-elle avoir des rapports normaux avec Lars si son appartement du Conservatoire était monitoré ?

Sur le croiseur surpeuplé, impossible pour eux d’avoir une conversation intime, ni même l’occasion d’une caresse. L’abstinence après la fête ne convenait pas à son tempérament. C’est pourquoi, dans sa préoccupation, elle ne remarqua le gémissement subliminal que le soir du second jour, quand elle s’agita pendant tout le dîner, se frictionnant le cou et les oreilles. Quelque chose n’allait pas.

— Vous semblez très nerveuse ce soir, Ligueuse, dit enfin Lars, qui avait enduré ses contorsions pendant tout le dîner.

Il avait parlé bas, pour elle seule ; mais sa voix portait.

— Les nerfs… non, ce ne sont pas les nerfs. Ce croiseur est-il, pourvu d’une traction-crystal ? dit-elle d’un ton accusateur, regardant le Capitaine Festinel.

— En effet, Ligueuse, et je suis au regret de vous dire qu’il nous pose actuellement quelques difficultés.

— La traction a un urgent besoin d’être réaccordée. Dès que vous rentrerez au port. À la façon dont elle sonne en ce moment, elle diffusera des harmoniques secondaires d’ici demain matin.

— L’ingénieur a monitoré sa traction irrégulière, mais nous devrions tenir jusqu’au port.

— Avez-vous réduit la vitesse ?

— Bien sûr, chanteuse-crystal, dès que nos instruments ont enregistré les résonances.

— Qu’est-ce qui ne va pas dans le croiseur ? demanda Torkes, prenant seulement conscience de la nature de la discussion.

— Rien qui puisse vous inquiéter, répondit-elle, sans regarder dans sa direction, car elle se frictionnait le cou de ce côté.

Elle sentit Lars se raidir près d’elle, et entendit son voisin de gauche ravaler son air.

— Je l’espère, ajouta-t-elle en se levant. Le bruit est subliminal, mais extrêmement irritant. Bonne soirée, messieurs. Lars la suivit et, par miracle, ils se trouvèrent seuls dans la coursive menant à sa petite cabine.

— Est-elle monitorée ? demanda-t-elle à voix basse. Il fit oui de la tête.

— Avez-vous besoin de quelque chose pour dormir, Ligueuse ?

— Oui, si vous pouvez trouver du vin de polly, Capitaine.

— Le maître d’hôtel en apportera une carafe dans votre cabine.

Avec une carafe de vin dans l’estomac, Killashandra parvint à dormir malgré les distorsions soniques de plus en plus perceptibles. Au matin, elles étaient presque audibles. Même Lars en fut affecté. Elle fut soulagée quand le Capitaine Festinel sollicita sa présence dans la passerelle de commandement. Et inquiète quand on lui montra les plans de la traction-crystal. Festinel et ses officiers ne s’inquiétaient pas sans raison.

— La traction devait être révisée quand cette urgence s’est présentée. La mer Large, plus houleuse que prévu, a mis à rude épreuve le compensateur de même que les stabilisateurs, surtout à cette vitesse.

Le Capitaine lui manifestait une déférence flatteuse, alors Killashandra l’écouta en hochant la tête, fronçant les sourcils en considérant les plans comme si elle y connaissait quelque chose. Contrairement au reste du bâtiment, la passerelle était insonorisée contre les bruits du Crystal, ce qui fut un bienheureux répit pour Killashandra. Jusqu’au moment où elle posa la main sur la paroi, et sentit les vibrations à travers le métal.

— La traction perd de son efficacité, dit-elle, se rappelant ce qu’avait dit Garrick à l’astroport de Fuerte, et obscurément satisfaite de conserver le souvenir lucide de cette période, maintenant complètement dissociée de sa vie actuelle.

— Franchement, je préférerais mettre en panne et réviser la traction, mais nous avons ordre de gagner le Continent au plus tôt.

Le capitaine haussa les épaules en soupirant.

Killashandra s’abstint de le rassurer. La traction se détériorait rapidement ; elle n’avait pas besoin des plans pour le savoir. Mais elle ne pouvait baser son jugement que sur une unique expérience, et elle ne voulait pas ruiner l’image flatteuse qu’elle s’était faite par un avis erroné.

Puis le Capitaine Festinel demanda, hésitant :

— Vous entendez vraiment les résonances du crystal ?

Un silence respectueux se fit dans l’assistance, tous les officiers, sans parler de Lars debout à son côté, attendant sa réponse.

— Oui, bien sûr. C’est comme une douleur sourde qui part des os de mes oreilles et qui descend jusqu’à mes talons. Si elle empire, je pourrais très bien vous demander un canot de sauvetage.

— Nous en savons si peu sur votre profession…

— Elle est comme toutes les autres, Capitaine, avec ses dangers et ses satisfactions, et un apprentissage suit de longues années de perfectionnement.

Elle sentit que deux oreilles l’écoutaient plus attentivement que toutes les autres, et poursuivit, sans oser regarder Lars :

— Une partie de mon apprentissage consistait à apprendre à réaccorder le crystal. Ce n’est pas mon occupation préférée, conclut-elle en faisant la grimace.

— Y a-t-il des conditions exigées pour exercer cette profession ? demanda le plus vieux des ingénieurs, levant les yeux de se plans.

— L’essentiel est d’avoir l’oreille absolue.

— Pourquoi ? demanda Lars, étonné de cette condition inattendue.

— On nous appelle chanteurs-crystal parce que nous devons accorder nos lames infrasoniques sur la dominante du crystal que nous taillons. Tâche épuisante et dangereuse.

Elle leva ses mains, pour montrer à tous les fines cicatrices blanches sillonnant sa peau.

— Il paraît, dit Lars d’un ton amusé, que les chanteurs-crystal ont des pouvoirs de récupération remarquables.

— C’est vrai. Apparemment, les résonances ralentissent les processus de dégénérescence, et accélèrent les processus de régénération. Les chanteurs-crystal gardent une apparence jeune très avant dans le troisième siècle de leur vie.

— Quel âge avez-vous, chanteuse-crystal ? demanda une jeune voix téméraire.

Fronçant les sourcils, le Capitaine Festinel se retourna, pour repérer l’auteur d’une telle insolence, mais Killashandra éclata de rire.

— Je suis relativement nouvelle à la Ligue Heptite, et encore dans ma troisième décennie.

— Pouvez-vous voyager où vous voulez ?

Avait-elle détecté une nuance nostalgique ?

— Tous les chanteurs-crystal voyagent, dit-elle avec une réserve louable, réalisant aussitôt que cette remarque n’était guère politique sur Ophtéria.

Elle avait rarement fait preuve du tact pour lequel Trag l’avait choisie.

— Mais nous retournons toujours sur Ballybran ajouta-t-elle, s’efforçant de donner l’impression qu’il était plus agréable de rentrer chez soi que de voyager au loin.

Inutile de susciter des espoirs irréalisables, surtout en présence des officiers supérieurs du bateau.

— Une fois chanteur-crystal, toujours chanteur-crystal !

Au même instant, l’imprimante cracha une feuille impatiente, et Killashandra sentit la résonance du crystal fulgurer dans ses os, des talons aux oreilles.

— Arrêtez la traction cria-t-elle au Capitaine, qui aboyait déjà des ordres.

Le souffle coupé par la douleur, elle s’affaissa contre Lars.

— Congratulations, dit-elle, espérant que le sarcasme dissimulerait sa souffrance. Vous venez de perdre un crystal. Qu’est-ce que c’est ? Des bleus ?

— Des verts, répondit fièrement le Capitaine, mais qui n’ont pas été changés depuis la mise en service du croiseur.

— Et Ophtéria dépense plus volontiers pour le crystal blanc de l’orgue que pour des verts plébéiens ?

Festinel acquiesça solennellement de la tête.

— Ingénieur, je vous demande l’autorisation d’inspecter la traction-crystal avec vous. Mon expérience dans le réaccordage du crystal pourra vous être utile.

— Très honoré, Ligueuse !

Il s’approcha de l’unité-comm.

— Rapport sur l’avarie !

— Lieutenant, leur répondit une voix désincarnée venant des entrailles du navire, explosion du coffrage, application de mousse, pas de blessés.

— Terminé !

Une âcre odeur – provoquée par la mousse grésillant sur le coffrage brûlant – n’avait pas encore été totalement évacuée par les ventilateurs quand Killashandra, l’Officier-Ingénieur Fernock et Lars arrivèrent dans la salle des machines.

En toute hâte, le Capitaine était allé informer l’Ancien Torkes du problème. Killashandra fit la grimace en percevant les résonances résiduelles des autres blocs de crystal de la traction. À moins que plus d’un élément n’eût explosé. Cela pouvait arriver.

Fernock commanda à ses hommes de balayer la mousse maintenant durcie, et d’ouvrir le couvercle du coffrage.

Le duramétal avait été fracturé par l’explosion et vint par morceaux.

— Allez voir au Magasin s’il y a une pièce de rechange.

À son air, Fernock semblait trouver la chose improbable.

— Je ne veux pas naviguer avec une traction-crystal sans bouclier de protection.

— Il n’y aura pas de problèmes si les montures restantes sont bien ajustées, dit Killashandra, raisonnablement sûre de ne pas se tromper.

Après tout, on ne mettait pas de bouclier protecteur autour du crystal noir, qui générait beaucoup plus d’énergie que le vert.

On nettoya par succion la mousse des blocs intacts, mais Killashandra et Fernock écartèrent les matelots du crystal explosé.

Les montures se sont desserrées, annonça Killashandra, se rappelant les bonnes manières à retardement et regardant Fernock pour confirmation.

— Vous avez raison. Là, dit-il, montrant la monture tordue à la base du vert. Mais comment est-ce possible ?

— Vous avez dit que la mer était houleuse. Et que vous deviez partir à la révision. Sans ce délai, ce défaut aurait été repéré et corrigé. Vous n’êtes pas en faute, Lieutenant.

— Je vous remercie.

— Très bien donc…

Killashandra s’accroupit près de la traction et tendit la main vers le crystal brisé.

— Qu’allez-vous faire, Ligueuse ?

Fernock lui saisit le poignet, et Lars fit un pas en avant.

— C’est que, tant que ce crystal ne bougera pas, nous ne bougerons pas non plus.

De nouveau, elle tendit la main.

— Mais vous n’avez pas de gants ; et de crystal…

— Coupe net et cicatrise vite. Du moins chez moi. Permettez, Fernock.

Il continua à protester, mais ne tenta plus de la retenir. Le premier fragment ne la blessa pas. Et la monture cassée lui facilita le retrait des morceaux. Elle montra un seau métallique et, quand on le lui apporta, elle y déposa le crystal. Elle retira les derniers morceaux, ne se coupant qu’une fois, quand le dernier fragment résista. Elle leva sa main ensanglantée.

— Que vos yeux émerveillés soient témoins des étonnants pouvoirs de récupération d’une chanteuse-crystal. L’un des rares avantages de ma profession.

— Quels sont les autres ? demanda Lars.

— Les crédits ! dit-elle, prenant l’appareil : de succion. Ces fragments ne peuvent servir à rien, et personne ne doit les toucher avant qu’ils n’arrivent à l’unité d’évacuation.

Elle déclencha l’appareil, et s’assura que les moindres éclats avaient été aspirés.

— Je vais vérifier toutes les montures. La plupart des problèmes proviennent de montures fautives.

Ce fut un travail pénible, mais c’est à sa sécurité qu’elle pensait. Et à celle de Lars. Avec l’aide de Fernock et de Lars qui lui tendaient les outils appropriés elle desserra toutes les montures, et replaça correctement les cinq blocs restants. Puis elle les frappa l’un après l’autre.

Dans une traction-crystal, il n’y a que des « sol », bien sûr, mais elle fut intensément soulagée d’entendre cinq « sol » très purs. Elle jeta un coup d’œil sur Lars, et le vit hocher la tête au son du « sol » qu’elle venait de chanter. Il n’était pas le seul fasciné par la réparation. Elle avait eu un public discret mais constamment renouvelé, sur la passerelle surplombant la salle des machines. Tant mieux. Cela ne pouvait qu’accroître le prestige des chanteurs-crystal. Et cela pouvait aussi la protéger contre de nouvelles fantaisies des Anciens.

— Voilà, Lieutenant Fernock, dit-elle enfin, s’étirant pour détendre ses muscles crispés par sa posture incommode. Je pense que vous pouvez rétablir les branchements. Je ne crois pas qu’il y ait danger si la charge est correctement distribuée. Une traction à cinq blocs devrait générer assez de puissance pour nous amener jusqu’au Continent.

Elle leva la main qui saignait abondamment une heure plus tôt.

— Vous voyez ? Pas de bobo.

— Ligueuse, savez-vous combien de temps il nous aurait fallu, à mes hommes et à moi, pour effectuer cette réparation ?

— Je n’en ai pas la moindre idée, Lieutenant Fernock, mais procédez aux rebranchements.

Elle sourit à l’officier déconcerté, puis, Lars suivant un pas derrière, elle remonta sur le pont principal.

— Citoyenne, vous êtes trop bien pour un simple pêcheur des îles.

— Peuh ! Je frimais… une fois de plus.

Et, se penchant en arrière, elle l’embrassa avidement, puis s’écarta, juste à temps pour ne pas être vue du Capitaine Festinel, qui venait s’informer des réparations.

— Vous m’avez fort bien assistée, Capitaine Dahl. Je demandai votre aide pour la réparation de l’orgue.

Elle continua à monter nonchalamment.

— Quand même, l’oreille absolue n’est sans doute pas l’unique condition pour devenir chanteur-crystal, dit Lars, quand ils furent de retour au carré des officiers.

— En tout cas, c’est la principale. Ballybran est une planète de Code 4.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? Je suis un simple pêcheur d’une planète arriérée, dit Lars avec mépris.

— Le Code 4 signale une planète dangereuse. Chanter le crystal est considéré comme un métier « très dangereux », uniquement accessible aux humanoïdes bipèdes de Types IV à VIII…

— Il y en a d’autres ?

— Vous ne voyez jamais de formes vivantes extra-planétaires sur Ophtéria ? Les Réticuliens sont des musicologues passionnés, même si je n’ai jamais pu considérer leurs roucoulements comme de la musique.

— C’est ceux qui ressemblent à une botte de brindilles sur un tonneau ?

Le carré était vide, et Lars la serra dans ses bras, l’embrassant passionnément et la caressant en lui murmurant des mots d’amour. Mais sachant qu’ils pouvaient être interrompus d’un moment à l’autre, il inhibait les réactions de Killashandra, alors même qu’elle aurait voulu qu’il continue. À un faible grattement vers la porte, ils se séparèrent, Killashandra tombant dans le plus proche fauteuil, haletante.

— Quelle jolie définition des Réticuliens ! Moi, je les compare plutôt à une cornemuse ; l’outre remplaçant le tonneau, mais je ne m’en suis jamais approchée assez près pour déterminer lesquelles des brindilles sont les pipeaux.

Lars s’arrêta d’arpenter la pièce, car tout bruit avait cessé dans la coursive, et se remit à la caresser.

— Un candidat à la Ligue Heptite doit passer le Test d’Aptitudes Physiques SGI, satisfaire au Profil Psychologique SG-1 que tu ne passeras jamais si tu continues à faire ça, Lars, et être de Niveau Éducatif 3.

— Je ne suis pas candidat à la Ligue ; seulement à un membre…

Cette fois les pas s’arrêtèrent et la porte s’ouvrit.

Le Lieutenant Fernock entra, souriant jusqu’aux oreilles à la vue des occupants.

— Nous repartirons dans dix minutes, Ligueuse, grâce à votre aide inappréciable. Et les cinq blocs restants nous permettront une vitesse suffisante pour arriver à peu près dans les temps.

— C’est merveilleux, dit-elle d’un ton languissant.

Merveilleux n’était pas le mot propre étant donné l’émoi suscité en elle par les caresses de Lars. Elle n’arriverait jamais assez vite à son goût dans la Cité et au Conservatoire.

 

Killashandra
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